Des frigos solidaires aux start-up et applications spécialisées dans l’anti-gaspi, les villes se transforment pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Derrière ces démarches écologiques, des initiatives comme les disco-soupes permettent de créer du lien social et donnent la possibilité à tous de pouvoir manger à sa faim.
Alors qu’un tiers de la production alimentaire mondiale est gaspillé, comment faire en sorte que ce type de démarches se développe ? En quoi les villes peuvent-elles être des moteurs sur cette question ?
On estime à 1,3 milliard de tonnes le poids des aliments gaspillés chaque année dans le monde, soit 41,2 tonnes jetées chaque seconde. Des chiffres impressionnants qui révèlent un problème d’ampleur mondiale. Mauvaise gestion alimentaire et augmentation des déchets ménagers, le gaspillage alimentaire intervient dans l’ensemble des phases de production, distribution et consommation. Le phénomène est d’autant plus fort dans les espaces urbanisés, où la concentration de point de vente et l’abondance des denrées est malheureusement source de gaspillage. La réduction du gaspillage alimentaire répond à un triple enjeux : le premier est environnemental (le gaspillage alimentaire est une source importante d’émission de gaz à effet de serre), le deuxième est économique (on estime son coût entre 12 et 20 milliards d’euros par an en France) et le troisième est éthique et social (certaines régions de la planète souffrent de graves crises alimentaires).
Mais alors comment lutter contre le gaspillage alimentaire dans des villes où la sur-consommation semble de mise ? Comment certaines initiatives habitantes et professionnelles participent à la sensibilisation du grand public sur cet enjeu ? Et finalement, peut-on tendre vers des villes zéro déchet alimentaire à grande échelle ?
Un français gaspille en moyenne 1 repas par semaine
Selon une étude menée par l’Ademe, la FAO et la Commission européenne, ce sont 10 millions de tonnes de nourriture consommables qui sont jetées chaque année. Un français gâcherait donc en moyenne 29 kg par an à son domicile, soit environ 108 euros qui partent en fumée. Pourtant cette part ne représente que 30% du gaspillage alimentaire. Plus surprenant, le gâchis alimentaire produit par la mauvaise gestion des stocks en supermarché ne représente que 14 % du gaspillage total. Mais alors, quand est-ce que l’on gaspille le plus ? Il semblerait que la production et la transformation des aliments causeraient 55% du gaspillage alimentaire. Sur l’ensemble de la filière alimentaire, ce sont en tout 155 kg de denrées consommables qui sont perdues, par français et par an, ce qui représente tout de même environ 240 euros par personne !
Plus alarmant, on estime que 20% du gaspillage alimentaire en France est dû à une mauvaise interprétation de la date de péremption du produit. De quoi nous questionner sur les normes alimentaires actuellement en vigueur et notre capacité à les comprendre. La législation française a récemment pris conscience du besoin de lutter contre ce phénomène. C’est ainsi qu’en 2016 une loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire est promulguée. Deux mesures sont alors établies. D’abord, tous les supermarchés de plus de 400 m2 sont obligés de créer un partenariat avec une association d’aide alimentaire pour faire don de ses invendus consommables. Ensuite, ces derniers sont également sanctionnables de 3 750 euros d’amende s’ils rendent impropres à la consommation des invendus, une pratique qui s’était malheureusement répandue pour empêcher toute personne de les récupérer. Un bon début donc pour lutter contre les travers de certains supermarchés.
De l’engagement individuel au collectif
Pour autant, une question se pose. Peut-on réellement vivre sans produire de déchet alimentaire ? C’est le pari fait par de nombreux citoyens qui adoptent un mode de vie zéro déchet, incluant la lutte contre le gaspillage alimentaire. En intégrant quelques habitudes, des familles arrivent ainsi à réduire drastiquement leurs déchets alimentaires. De nombreuses recettes existent pour cuisiner nos restes ou déchets organique et, le bac de compost ou lombricomposteur chez soi permet de transformer les déchets alimentaires en engrais pour les plantes, et plus simplement, adopter une bonne gestion de conservation des aliments en temps et en heure. Un mode de vie qui séduit de plus en plus de citoyens car il permet à la fois, sans trop de contraintes, d’adopter des pratiques respectueuses de l’environnement et de faire des économies.
On observe donc l’émergence d’initiatives collectives en ville qui tendent à questionner nos modes de consommations et le gaspillage qui en découle. Pour autant, il s’invente tout de même en ville, de nombreux dispositifs permettant de sensibiliser le grand public à cette problématique. C’est le cas de Disco soupe, créé en 2012, qui se présente comme “un mouvement solidaire et festif qui s’approprie l’espace public et le rebut alimentaire pour sensibiliser au gaspillage alimentaire”. Ses membres organisent dans de nombreuses villes françaises des événements conviviaux où des bénévoles cuisinent des légumes et fruits invendus, pour proposer des repas gratuits en musique ! Une initiative bénévole qui permet à la fois d’aider les plus nécessiteux, mais également de sensibiliser aux pratiques alimentaires respectueuses et sans gaspillage. Preuve que les invendus peuvent être servis lors de repas festifs !
Sensibiliser et faire participer le grand public à la lutte contre le gaspillage alimentaire, ainsi que les acteurs de la ville, c’est aussi le pari de la jeune association BelleBouffe à Lyon. Son but ? “Favoriser un système alimentaire plus écologique et solidaire”, nous explique ses deux co-fondateurs. Pour cela, BelleBouffe s’est structurée autour de 4 grands enjeux. D’abord, la sensibilisation : c’est à partir d’activités de médiation pour le grand public autour des problématiques liées au gaspillage alimentaire, et cela via des médiums pédagogiques originaux et participatifs, que l’association cherche à encourager chacun à devenir acteur du changement. Elle propose également des formations pour des publics professionnels autour de l’économie circulaire, du zéro déchet et du gaspillage alimentaire.
Lors de ses interventions, BelleBouffe apprend, entre autre, aux plus petits à cuisiner des plats de qualité à partir d’invendus © BelleBouffe
Le deuxième enjeu est celui de la restauration : BelleBouffe invite tout le monde à participer pour une cuisine collaborative et solidaire, le tout à partir des invendus alimentaires. De la découverte des recettes anti-gaspi, à la mesure de l’impact écologique des repas créés, c’est en s’impliquant que chacun peut prendre conscience de son potentiel d’action et des solutions à mettre en place. L’association propose également un service de traiteur zéro-gaspi, de quoi rendre plus durable des événements à organiser. À court terme, l’association a d’ailleurs prévu d’ouvrir un lieu de cuisine zéro-gaspi collaborative et solidaire pour tous où les repas seront vendus à prix libre !
Le troisième enjeu est celui de la recherche participative : en accompagnant des acteurs désireux de lutter contre le gaspillage alimentaire, grâce à des outils innovants et personnalisés, l’association participe à une production scientifique collaborative au service de tous. Enfin, BelleBouffe met en place un infolab alimentaire et décrypte les données numériques autour de l’alimentaire : de quoi aider à mieux comprendre et interpréter les datas pour les mettre au service d’une dynamique zéro-gaspi ! C’est donc en misant sur la sensibilisation et la participation de publics variés que BelleBouffe cherche à accroître le pouvoir d’agir des personnes et des collectifs au service d’un système alimentaire plus écologique et solidaire !
Ces initiatives sensibilisatrices à la question du gaspillage alimentaire sont souvent issues de mouvements citoyens, mais quelques fois, elles se font en partenariat avec des structures et des municipalités qui souhaitent s’engager. C’est le cas du Banquet des Récupérables, organisé à Rennes le 19 mai dernier. Ce sont en tout 3 000 convives qui se sont donnés rendez-vous lors d’un événement co-géré par la CoBen – Confédération Bretonne pour l’environnement et la Nature, le service de Prévention Déchets de Rennes Métropole, Biocoop, Triballat, TerreAzur (en charge de l’approvisionnement), la Banque Alimentaire, Belle Déchette et Solaal. Avec 2,2 tonnes de fruits et légumes invendus collectés, des chefs professionnels et une centaine de bénévoles ont donc mis les mains à la pâte pour proposer un repas végétarien et gratuit pour tous. Autour du banquet s’est déployé, ce qui fut présenté comme un “village des solutions” proposant aux convives de découvrir des entreprises ou associations proposant des alternatives et des initiatives permettant de consommer de façon plus éthique et durable. Une manifestation qui semble avoir connu un franc succès et qui ne tardera pas à investir d’autres villes pour encourager la mise en place de politiques publiques adaptées !
Le numérique au service de la lutte contre le gaspillage alimentaire ?
Pour nous aider à limiter notre production de déchets alimentaires, de nombreuses associations et start-up prennent appui sur le numérique pour sensibiliser et accompagner le citoyen à réduire ses déchets alimentaires. Le monde de la foodtech s’est emparé de la question, et tente via des applications mobiles de faire diminuer le phénomène.
Il est par exemple désormais possible via des applications mobiles de localiser des points de vente qui proposent des rabais sur leurs produits invendus ou proche de leur date de péremption. C’est le cas de Zéro Gâchis qui identifie les supermarchés effectuant des réductions sur certains produits, ou encore Too good to go ou Optimiam, qui travaillent avec de petits commerçants et restaurants qui souhaitent vendre à des prix réduits le soir leurs invendus quotidiens. En quelques clics, il est devenu très simple de faire à la fois un geste pour la planète et des économies.
À domicile, certaines applications proposent également de l’aide pour gérer son stock alimentaire, et ses dates de péremption. En effet, A consommer ou Check food sont des applications qui proposent d’enregistrer les dates de péremption des aliments achetés, pour ensuite vous tenir au courant en temps réel des produits à consommer rapidement. Ainsi, on ne risque plus de découvrir des yaourts oubliés au fond du frigo. D’autres luttent d’ailleurs en amont de la consommation contre le gaspillage alimentaire : la Meal Canteen permet aux consommateurs de commander en prévision leur repas dans des restaurations collectives pour permettre aux cuisiniers de préparer ce qui sera réellement consommé le lendemain, et de ce fait éviter le gaspillage.
La foodtech s’est également penchée sur la question de transformation des déchets : Love your Waste propose aux restaurateurs de valoriser leurs biodéchets en énergie. En les accompagnant à une meilleure gestion de tri et en collectant les biodéchets, elle permet de les transformer en biogaz et engrais naturels !
En favorisant les échanges entre les différents acteurs du monde de l’alimentation, du producteur au consommateur, la foodtech favorise ainsi l’implication de démarches zéro-gaspi en ville. En espérant que cette dernière continue d’innover pour faciliter le passage à l’acte de tous et un déploiement bénéfique à l’échelle des territoires.
Ces villes se bougent pour être zéro-déchets !
Les collectivités peuvent avoir elles aussi un rôle clé dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Certaines se sont déjà mobilisées, comme Rennes citée précédemment, pour une transition écologique de leur mode de consommation.
Lancée en 2016 par l’Ademe (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie), l’opération “1000 écoles et collèges contre le gaspillage alimentaire” a permis à 40 collectivités française d’établir, pendant 2 ans, des diagnostics et de mettre en place des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire. Deux années qui semblent avoir porté leurs fruits puisqu’elles ont permis une réduction en moyenne de 20 % du gaspillage alimentaire. Cette initiative a également été la preuve que pour 1 euro investi dans cette lutte, une économie de 2 euros est rendue possible. On estime même à en moyenne 2 000 euros les économies réalisées par les établissements volontaires. De quoi, on l’espère, motiver les plus récalcitrants.
Certaines collectivités se sont également lancées dans le recyclage de bio-déchets en énergie. Que ça soit à vélo comme à Strasbourg ou par les services de la ville qui mettent à disposition des composteurs ou bac de récupération comme à Clermont-Ferrand ou encore Montpellier, le recyclage des bio-déchets semble être en bonne puisque de plus en plus de collectivités s’y mettent. Cependant la France reste encore en retard sur cette thématique : on estime par exemple qu’en Autriche 80% de la population peut bénéficier d’une collecte séparée des déchets organiques, ce qui fait d’elle le premier pays européen en terme de déchets compostés par an et par habitant, c’est à dire 175 kg contre 87 kg pour la France.
Grâce aux composteurs installés dans les villes, 3 kg de déchets sont transformés en 1 kg de compost excellent pour nos plantes.
Le défi de la réduction des déchets dans nos villes françaises est donc encore à améliorer, mais comme nous le prouvent des exemples à l’international, il est loin d’être inatteignable. La ville de San Francisco, aux Etats-Unis, est devenue une référence mondiale de ville zéro-déchet. Avec pour objectif en 2020 d’arriver à recycler 100 % de ces derniers, la ville se donne les moyens d’y arriver. Aujourd’hui, grâce à des politiques environnementales assumées, avec par exemple la mise à disposition de bacs de recyclages différenciés, une sensibilisation, et la sanction pour mauvaise conduite écologique, la ville atteint 80% de déchets recyclés. De quoi en faire un exemple pour que nos villes s’emparent pleinement du sujet et puissent devenir plus écologiques et solidaires !